Depuis toujours de nombreuses personnalités africaines déclarent ou écrivent « Nous les Africains ». Dans les rayons des libraires, on y trouve des livres sur les organisations africaines, sur la philosophie africaine, sur le style managérial en Afrique ou encore sur les valeurs africaines. Subséquemment, il est permis de penser que ce qui est valable dans la société décrite par un auteur l’est automatiquement dans d’autres sociétés du continent.
Pendant de nombreuses années, j’ai été influencée par ces déclarations, croyant que mes découvertes africaines locales me permettaient de comprendre et de réussir mes échanges dans une autre société du continent.
Ce n’est qu’en vivant de manière successive dans différents pays africains pendant près de vingt ans que, petit à petit, je me suis rendue compte de nombreuses différences culturelles glanées au cours de mes échanges et collaborations sociales et professionnelles.
J’ai découvert que même quand les Africains déclarent partager des valeurs communes, ils expriment ces valeurs de manières très différentes d’une société à l’autre. Par exemple, l’hospitalité, valeur centrale de nombreuses cultures africaines, s’exprime si différemment d’une société à l’autre que j’ai régulièrement entendu des Africains se plaindre du manque d’hospitalité d’Africains d’autres sociétés.
Ceci fait pressentir que ce qui est juste et respectable dans une société peut devenir inapproprié voire même impoli dans une autre. De la même manière, partager des valeurs communes ne permet pas d’anticiper comment se comporter ailleurs. Ce type de situation créée la confusion dans les rencontres interculturelles.
Face aux contradictions entre les dire des experts africains et ma perception de la réalité sur le terrain, je me suis longtemps demandée si c’était possible que ces distingués experts et politiciens puissent s’être trompés?
Il m’a fallu plusieurs années pour résoudre cette énigme. C’est à l’occasion d’un événement culturel que le mystère a commencé à se dissoudre. Je me trouvais à Addis Abeba en Ethiopie où j’assistais à une représentation culturelle : Le programme, scindé en deux parties proposait un concert de musiciens japonais suivi d’un florilège de danses traditionnelles éthiopiennes.
Il s’agissait de deux performances très différentes : les Japonais étaient très sobrement vêtus et jouaient en cadence sur des tambours qu’ils avaient amenés du Japon tandis que les Ethiopiens portaient des tenues traditionnelles très colorées et dansaient sur une musique et un rythme qui n’avaient rien en commun avec ceux des Japonais.
A la fin du programme, le ministre japonais de la culture en visite à Addis Abeba monta sur scène accompagné de son homologue éthiopien et s’adressa à lui et aux spectateurs. Leurs différents échanges exprimaient tous combien les Japonais et les Ethiopiens se ressemblaient.
Je n’en revenais pas qu’ils n’aient pas salué la beauté des différences de ces prestations toutes magnifiques. Pourquoi ?
C’est alors que je me suis souvenue d’une différence fondamentale entre les cultures individualistes et les cultures de groupe ou collectivistes.
Dans les sociétés individualistes, les différences sont la richesse de la société: ces différences sont étudiées et font l’objet de nombreuses comparaisons qui intéressent les membres de ces sociétés. La gestion de la diversité en tant que politique se fonde sur cette croyance de la beauté et du respect des différences. Par contre dans les sociétés de groupe, ce sont les similitudes qui sont préférées car ces similitudes sont le ciment du groupe; par contre, pour eux, les différences séparent.
Cette préférence culturelle me permit de comprendre le réel message des deux ministres, tous les deux issus d’une société collectiviste. Jamais ils n’ont voulu indiquer qu’il n’y avait pas de différences culturelles entre Africains : ils ont simplement décider de ne pas en parler.
Le mode de fonctionnement des sociétés collectivistes peut donc expliquer pourquoi si peu a été fait par les Africains pour découvrir les différences culturelles entre leurs diverses sociétés.
Mais cette logique a induit en erreur pas mal de monde :
D’un côté, les Africains en mission dans d’autres pays africains ne pensent pas devoir se préparer culturellement à gérer leur relations avec d’autres Africains. Nombreux sont ceux qui m’ont confié leur surprise et leur confusion face à des réactions inattendues.
D’autre part, les étrangers n’imaginent pas le fossé culturel qui les séparent de leurs collaborateurs et imposent des manières d’être et d’approcher les situations qui ne respectent pas les cultures locales. J’ai aussi découvert des conflits de valeurs qui nécessitent des compétences culturelles spécifiques.
Pendant des décennies, les relations interculturelles entre l’Afrique et le reste du monde se sont limitées aux relations bilatérales et multilatérales avec les bailleurs de fonds. Ces relations avaient pour but d’aider les gouvernements africains à lutter contre la pauvreté.
Bien que ces acteurs soient toujours présents, il en est d’autres qui sont présents en Afrique sans avoir aucun contact préalable avec le continent.
Il est donc grand temps que les différences culturelles entre sociétés africaines soient étudiées pour permettre la réussite des collaborations internationales et interculturelles. Il importe aussi que tous les acteurs en présence développent leurs compétences interculturelles.
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